RENCONTRE AVEC L’ANCIEN CHEF DU GOUVERNEMENT

LE GENERAL MICHEL AOUN A “LA REVUE DU LIBAN” :

"QUI EST ASSEZ FOU POUR CROIRE QUE LE CHANGEMENT DE L'INTERIEUR EST POSSIBLE ?"

La Haute-Maison est située en Seine et Marne dans le bassin parisien. A l'entrée de la résidence du général Aoun, les mesures de sécurité française ont été nettement allégées depuis l’incident du mois de mai avec Paris; aussi, l'ancien chef du gouvernement libanais assure-t-il désormais, en grande partie sa propre sécurité. La résidence est agréable et coquette, mais un peu trop calme. Pour s’y rendre, il faut un moyen de transport privé, ce qui ralentit le rythme des visiteurs, sauf “en période de crises”… Mme Aoun nous accueille avec son hospitalité coutumière et si elle ne l'exprime pas, on sent chez elle la grande nostalgie du pays; cinq ans, c’est long après tout! Le général, lui, continue à vibrer, intensément, à l'heure du Liban de tous ses problèmes et perspectives d’avenir. Les législatives, certes, seront au cœur de la conversation. Il dénonce, vivement, la loi électorale, la mainmise de la Syrie sur le Liban, l'attitude du gouvernement “qui a fait de tout pour éloigner la véritable opposition des législatives”. Il nous confie même que les gens du pouvoir ont fixé aux 18 et 25 août les élections au Mont-Liban et au Nord, parce qu’il avait déclaré à un journaliste qu’il avait l'intention de se porter candidat dans l'une ou l'autre de ces circonscriptions. Rentrera-t-il au Liban après le 28 août? “Attendons de voir comment la situation évoluera”, se contente-t-il de dire.

NOTRE APPEL AU BOYCOTT SERA SUIVI

- A la veille des législatives, l’opposition offre une image disparate et l’on est bien loin de la prise de position unifiée de 1992. Comment l’expliquez-vous?

“En dépit de cette impression, les grands courants politiques ont préconisé le boycott. D’autre part, il y a des individus qui ont boycotté ou suivi le boycott en 1992 et ont changé d'attitude aujourd’hui. Ceux-là, je crois qu’ils seront sanctionnés par leurs électeurs. C’est du moins ce que je pense.”

- Avec le président Amine Gemayel et les leaders du B.N. et du P.N.L., MM. Raymond Eddé et Dory Chamoun, vous avez lancé un appel commun au boycott. Croyez-vous que les électeurs suivront?

"Certainement, car ceux qui nous prennent pour des gens crédibles et ils sont majoritaires, suivront cet appel. Je crois que nous avons suffisamment de crédibilité auprès du peuple libanais, pour tous les sacrifices consentis en faveur du Liban. Chacun de nous a son passé dans la résistance et je crois que nous avons eu une vision juste des choses. Parce qu’actuellement, le Liban n’existe pas politiquement. “Des gens faibles - parce qu’ils sont surveillés ou ont besoin de quelques services - vont accepter l’état de fait. Cette faiblesse humaine n’est pas souhaitable. Car dans un pays qui a versé tant de sang et donné des dizaines de milliers de martyrs pour défendre sa liberté, sa dignité et son indépendance, il est inadmissible de vendre tous ces sacrifices pour un camion d’asphalte et quelques services rendus. Les Libanais doivent avoir en pensée tous ces martyrs qui se sont sacrifiés pour défendre le pays. Et je crois que c’est ce qui va triompher en définitive”.

Photo prise dans le jardin de la résidence de la Haute-Maison.

NOUS DEFENDONS DES VALEURS FONDAMENTALES

- Vous liez les élections à des valeurs suprêmes, alors que le citoyen est bien plus concerné par les problèmes de la vie quotidienne...

"Ce n’est pas vrai! C’est une hypothèse. Il y a des gens pauvres plus dignes que les nantis. Nous défendons des valeurs fondamentales. Ce n’est pas du luxe. Que vaut un pays sans souveraineté et sans liberté? Qu’est-ce qui nous différencierait des bêtes? Notre vie serait purement végétative”.

- On a quand même l’impression, de l’intérieur, que le peuple ne va pas opter pour le boycott dans son ensemble.

“Non, non! C’est une fausse image médiatique. Malheureusement, nos moyens d’information sont pour la plupart stipendiés et reflètent une vision non correcte. Le citoyen moyen ne me semble pas tellement enthousiaste pour les élections. Mais on essaye de créer cette image, en prévision de la falsification du taux de participation. Il y a une pléthore de candidats, mais non d’électeurs. Les portraits sont partout, même sur les poubelles, car il n’y a plus de places ailleurs. Par contre, les meetings tenus par l’opposition préconisant le boycott, traduisent la véritable opinion des citoyens”.

NOUS AVONS FAIT LE BON CHOIX

- En lançant l’appel au boycott avez-vous réellement fait le bon choix?

“D’abord, il fallait que je sois moi-même en tranquillité avec ma conscience. Quand je vois que mon pays va dans le mauvais sens, vers l’abîme, je dois inviter les citoyens à corriger le cours des choses. Ensuite, c’est aux gens de me croire ou non. Depuis 1988, ils ont une certaine expérience de mon comportement et des propos que je tiens concernant l’avenir. S’ils jugent que je parle juste, ils suivront l’appel. Sinon, rien ne les oblige à s’aligner. Ils doivent, en tout cas, trouver la vérité autour d’eux, tel que je l’ai dit dans mon dernier message.”

LIBRE AUX CITOYENS DE ME CROIRE OU NON

- Vous êtes absent du Liban depuis cinq ans. Ne croyez-vous pas qu’un fossé s’est créé entre vous et vos partisans, et entre l’ensemble du peuple libanais?

“Si vous lisez mon appel, vous verrez que je suis présent à tout et à tous. Aux problèmes du Hermel, du Akkar, de Marjeyoun, de Beyrouth; je suis au courant de tout dans les moindres détails. Les gens m’écoutent, m’entendent sans me voir, car mon image est interdite à la télévision.”

- Dans quelle mesure avez-vous encore une popularité réelle et des partisans?

“J’acquitte ma conscience en lançant l’appel et en préconisant ce qui va arriver. Libre à eux de me croire ou non. C’est leur problème.”

- Beaucoup pensent que le boycott de 92 n’a été d’aucune utilité et que l’expérience de ces quatre années n’a pas été concluante. N’auriez-vous pas mieux fait de vous engager à fond dans la présente bataille électorale?

“Je considère que dans ce climat de pollution on ne peut organiser des élections, ni libres, ni représentatives du peuple libanais. Que l’on participe ou non, le résultat sera le même. Pourquoi céder en fin de parcours, ce qu’on n’a pas donné au départ? Le temps a changé et les simples gens doivent comprendre que les événements de la région ne sont pas sur le calendrier des gouvernants. Ils ne vont pas durer jusqu’à la phase finale. Ceux qui disent aussi que nous parions sur les événements, se trompent. Nous travaillons pour qu’il y ait des changements. Nous n’attendons pas l’événement mais essayons de le créer.”

- Comment êtes-vous en train de travailler et à quel niveau?

“On ne peut toujours révéler tout ce qu’on fait. Cela sera consigné un jour dans nos mémoires. Des activités sont mentionnées, tels les contacts avec l’administration américaine, des responsables britanniques, des parlementaires français ou européens et d’autres . “Malheureusement, parce que je fais un travail sérieux, j’ai eu un grand incident le 21 mai avec les autorités françaises. Malgré tout, le message a été reçu”.

FAUSSES IMAGES MEDIATIQUES?

- Si une opposition unifiée de l’extérieur et de l’intérieur avait présenté des listes électorales fortes dans tous les mohafazats, n’aurait-elle pas renversé les données?

“Beaucoup de gens se posent cette question, parce que notre peuple n’a pas de mémoire. Le Liban dans son état actuel n'est pas un Etat de droit. “Avant de devenir député, il faut faire l’examen de passage: d’abord, auprès de l’officier des renseignements local; pour être, ensuite, accepté par les milieux influents promu candidat et placé sur une liste.”

- Si vous constituez une force au sein du parlement qui vous empêcherait d’atteindre vos objectifs?

“Qui est assez fou pour croire que le changement de l’intérieur est possible? A priori, qui oserait au cours de la campagne électorale, présenter un programme prévoyant le retrait syrien? Quel serait son sort? “Déjà, pour avoir dix signatures nécessaires à la remise en cause la loi électorale auprès du Conseil Constitutionnel, il a fallu des efforts monstres pour recueillir le nombre requis. Parmi ceux qui ont signé, beaucoup avaient été refusés sur les listes électorales. Tout doit donc passer sous le plafond connu “Vous-même en tant que journalistes, vous êtes soumis à une auto-censure. A partir de là, vous créez de fausses images médiatiques pour la société libanaise. Comment, dès lors, peut-on croire à la liberté de choix du peuple à travers les élections?”

- Comment jugez-vous l’attitude de ceux qui, en 1992, avaient opté pour le boycott, dont les Dr Albert Moukheiber, Pierre Daccache, M. Georges Saadé, Me Boutros Harb et qui, aujourd’hui, ont choisi de s’engager dans la bataille?

“Dans le boycott de 1992, tout le monde n’était pas sincère. La vague populaire les a, elle-même, obligé au boycott. Je crois que le Dr Moukheiber ne s’est prononcé qu’aux dernières 24 heures et je ne crois pas que le Dr Daccache a été le “Mirabeau” du boycott. Une vague a entraîné une large fraction de l’électorat, ce qui a mécontenté la classe politique traditionnelle. Depuis ce jour, elle a travaillé pour regagner les places perdues, car la majorité de ses politiciens sont formés à la soumission à une instance étrangère. Ils vont écouter l’Amérique, la France, la Grande-Bretagne qui leur disent de participer aux législatives car les “parrains” de Taëf, cherchent à légitimer dans le pays l’accord qui a été élaboré. Pour cela, aujourd’hui plus qu’en 1992 les Libanais devraient boycotter le scrutin”.

S'ABSTENIR PAR RESPECT POUR NOS MARTYRS

- En boycottant les élections, ne jouez-vous pas la carte du gouvernement?

“Qu’importe! Je préconise plus que cela: Pourquoi ne pas mettre en place un gouvernement de l’extérieur? Car si on dénonce vraiment les forces extérieures au Liban, il ne faut pas que les Libanais participent au pouvoir. Tout ce que je demande aux gens, c’est de s’abstenir de voter. De faire un acte passif qui ne gêne personne, ne demande pas de l’argent et n’expose pas au danger. Abstenez-vous au moins par respect pour nos martyrs.”

- Pensez-vous que le gouvernement a manœuvré de façon à vous amener à boycotter les élections?

“Il n’y a pas de gouvernement. Il y a un tuteur et des fantoches, des marionnettes manipulées de l’extérieur “Nous avons réclamé, comme principe élémentaire, l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Ils ont, avant même le vote, falsifié les élections par une loi inique. “Deuxième geste: ils ont naturalisé des gens par centaines de milliers et les ont inscrits là où ils veulent afin d’influencer le résultat du vote politique leur accordant le droit de vote, dès leur naturalisation. Ceci n’est pas conforme à la loi qui stipule: il faut être libanais au moins depuis dix ans pour être fonctionnaire de l’Etat. A plus forte raison pour exercer le droit de vote. “En troisième lieu, ils ont refusé tout contrôle international qui pourrait donner de la crédibilité à la consultation populaire et ont refusé la carte électorale pour faire voter les morts et les absents sans reconnaître le droit de vote aux Libanais travaillant à l’extérieur. “Toutes ces mesures ne sont-elles pas contre nature? Pourquoi, dès lors, se prêter à cette comédie? C’est un jeu de cirque avec beaucoup de clowns. Mieux vaut rester en dehors pour ne pas être contaminé par ce milieu pollué”.

DECOUPAGE DESTINE A EFFRITER L’OPPOSITION

- Pensez-vous que le découpage électoral du Mont-Liban en cazas a été fait pour satisfaire M. Walid Joumblatt?

“Pas du tout. Cela aussi est un conditionnement médiatique. Ce découpage a été voulu pour effriter l’opposition et M. Joumblatt en a tout simplement profité. Car si le Mont-Liban était resté uni il y aurait eu un vote favorable dans l’ensemble pour l’opposition et, surtout, l’opposition chrétienne, car c'est la seule circonscription où les chrétiens peuvent influencer le scrutin. La planification n’est pas de Joumblatt. “Ceci joue contre eux. Pourquoi veulent-ils préserver la spécificité des druzes et effriter tous les chrétiens? C’est un acte criminel et en agissant de la sorte, ils ont brisé l’unité nationale qui est menacée. Et si maintenant les musulmans ne suivent pas le boycott, il va y avoir une fracture sociale entre chrétiens et musulmans. Parce qu’il n’est pas acceptable que des Libanais deviennent des citoyens de deuxième zone et soient soumis à une loi d’apartheid. “Je ne crois pas que les responsables musulmans puissent sauver la situation. Seul le peuple peut le faire en optant pour le boycott”.

- Général, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y a pas un leader musulman qui a lancé, cette fois-ci un appel au boycott contrairement à 92. N’est-ce pas assez significatif?

“Me Mohammad Moghrabi a diffusé un manifeste disant que le boycott lancé par les chrétiens était un appel national. Je sais que cela ne suffit pas. En 1992, un seul leader, Tamam Salam, avait appelé au boycott qui l’avait dépassé en 1992 même. Le Nord et Tripoli se sont abstenus, car le boycott n’est pas simplement une affaire d’appel d’un leader. C’est une symbiose qui se crée entre ceux qui lancent cet appel et tout un peuple. Vous serez peut-être surprise de constater après ces élections que des régions à majorité musulmane ont boycotté beaucoup plus que des régions chrétiennes?”

MOUKHEIBER EN A ASSEZ D’ETRE “AU CHOMAGE”

- Avez-vous des contacts avec des leaders musulmans de l’intérieur en vue d’une position unifiée?

“Ils peuvent se déclarer ou travailler en silence. Car des gens sont plus menacés que d’autres”.

- Que pensez-vous de la déclaration du Dr Moukheiber disant que c’est lui qui représente la véritable opposition?

“Je laisse à l’opinion publique libanaise la latitude d’apprécier cette affirmation. En se déclarant le ténor de l’opposition il devrait être au courant de tout ce qui se passe dans toutes les régions du pays. Or, je doute fort que son information aille plus loin que son entourage immédiat à Beit-Méry.”

- Comment jugez-vous sa décision de s’engager dans la bataille?

“Il ne sait faire autre chose que d’être député et ne veut plus rester au chômage”.

- Et le Dr Daccache?

“Lui aussi se sent perdu et désemparé en dehors du parlement. Mais je ne crois pas en leur raison nationale”.

- Qu’en est-il de l’attitude de Mgr Béchara Raï?

“Il devrait réviser sa conscience après le témoignage élogieux qu’il a donné de la personne du ministre de l’Intérieur. Je crois que tous les Libanais vont se poser des questions sur la clarté et la vision de Mgr Raï. Il a présenté M. Michel Murr comme l’homme le plus intègre. Je ne crois pas qu’il écoute ses ouailles”.

- Et Mgr Khodr?

“Il a dit que le vide est rempli par le diable. J’en conviens et il est rempli par le diable depuis longtemps. Il nous invite à remplir ce vide qui n’est que fictif. En réalité, il nous invite à nous soumettre et à ne pas résister. “Le Christ a dit: Satan existe et il faut le combattre, non exister ou vivre avec lui.

PUISSE LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL FREINER LE PROCESSUS ELECTORAL

- Qu’attendez-vous du Conseil Constitutionnel?

“J’espère qu’il rendra son jugement le plus tôt possible et arrêtera le faux processus électoral et ce serait pour le bien de tout le monde. Car la présente loi, avec ses multiples failles et falsifications, est un véritable gâchis. “Le gouvernement travaille en vue de semer le doute chez le citoyen; un esprit mafieux et non responsable dirige le pays”.

- Avez-vous subi des pressions de la part des grandes puissances qui sont toutes favorables à la participation aux élections?

“En principe, je ne révèle pas ce genre de contacts et de relations. “En tout cas, je ne suis pas prêt à suivre leurs conseils, ni leurs recommandations. Parce qu’aucune de ces puissances n’a honoré sa signature, que ce soit celle relative aux résolutions du Conseil de Sécurité concernant le Liban, ou le fameux accord de Taëf qui a promis beaucoup de choses aux Libanais sans les leur assurer. “Ils ont été complices par leur silence et n’ont pas la crédibilité nécessaire auprès du peuple libanais et certains candidats ont été influencés par eux. Mais je ne crois pas que leurs conseils soient sincères. Ces puissances font de nous un jeu pour servir leurs intérêts. Aux Libanais de prendre garde à leur jeu.

- Vos relations avec le “amid” du bloc national M. Raymond Eddé se sont-elles améliorées?

“Nous passons par une période de calme et sans polémique, afin d’adopter une position unifiée pour confronter la situation au Liban. Je crois que les gens doivent saisir le côté positif de cette attitude. S’il n’y avait pas vraiment un danger, on ne se serait pas mis d’accord. Un point commun nous unit tous les quatre: nous avons beaucoup payé et payons encore pour le Liban. “Il faut que les citoyens ressentent ceci beaucoup plus profondément”.

LE PROCESSUS DE PAIX PEUT PASSER PAR DES “PHASES CHAUDES”

- Comment voyez-vous l’évolution de la situation au Proche-Orient?

“Il n’y a plus de prophètes de nos jours. Ils sont tous morts.

- Quelle est votre propre analyse, après l’accession de Netanyahu au pouvoir?

“Dès le départ, j’ai été persuadé que Netanyahu allait favoriser la paix au Nord d’Israël. C'est un homme dissuasif, alors que Pérès ne l’était pas. Autrement, il aurait pu réussir aux élections et a fait perdre à l’Etat hébreu toute sa force dissuasive. “Netanyahu, lui, donne comme priorité à son action la sécurité et pourrait même engager les forces armées à le faire. Les autres voulaient instaurer la paix pour avoir des ouvertures économiques. Lui affirme qu’il ne veut pas sacrifier la sécurité d’Israël”.

- Faut-il craindre pour le processus de paix?

“Personne n’osera dire qu’il n’est pas ou ne veut pas de paix. Mais se fera-t-elle à froid? Je ne peux le dire mais elle peut passer par des phases chaudes”.

- Que pensez-vous des propositions de Netanyahu concernant le Liban?

“Sa politique ne semble pas trop mauvaise, puisqu’il affirme vouloir résoudre le problème du Liban en premier. C’est un élément positif. Mais le Liban officiel a refusé cette priorité, parce qu’elle est contre son jeu. Voilà pourquoi, il faut comprendre qu’on ne peut pas changer la situation du Liban à partir d’un parlement élu tout le monde sait comment... “Le Liban est pareil à une locomotive qui a été déraillée par trois forces essentielles qui doivent elles-mêmes le remettre sur les rails.

RELATIONS “TIEDES” AVEC PARIS

- Au mois de mai vous avez eu des problèmes avec les autorités françaises, lorsque vous avez voulu vous rendre au parlement européen à Strasbourg. Où en sont vos relations aujourd’hui avec Paris?

“Ni chaudes, ni froides”.

- Les mesures de protection à la Haute-Maison ont été nettement réduites. Vous sentez-vous en danger?

“Je les ai remplacées par des moyens personnels. Il y a toujours la garde de nuit et les chiens d’attaque assurés par mes propres hommes.”

- Avez-vous la pleine liberté de circuler et de vous déplacer?

“J’ai toute ma liberté, mais je suis toujours accompagné quand je sors”.

- Vous sortez souvent?

“Je n’aime pas trop sortir, je préfère recevoir chez moi. Car j’étais toujours sous résidence surveillée. Il y a eu congestion jusqu’à explosion en fin de compte. “Moi je ne suis pas réfugié politique en France”.

- Quel est votre statut?

“Je suis résident visiteur et leur comportement à mon égard va à l’encontre de leurs lois”.

- Auriez-vous intenté un procès, tel que vous l’avez dit au lendemain de l’incident de Strasbourg?

“Oui et il est toujours en instance devant la Justice française. Il est gelé et restera valable jusqu’à 3 ans. L’enquête peut démarrer, soit sur une initiative du juge ou de celui qui a déposé la plainte. Je ne suis pas venu faire ici un procès au gouvernement français. J’ai voulu juste marquer le fait”.

SOUMIS A DES DECISIONS ARBITRAIRES

- Avez-vous la liberté de vous exprimer, de faire des déclarations aux médias...?

“Personne ne me donne la liberté; je la prends. Quand ils sont trop gênés, ils me rappellent le devoir de réserve, qu’ils n’ont jamais défini, d’ailleurs. Ils me soumettent donc à des décisions arbitraires. Pour cela, j’ai protesté et tenu à soulever cette question avant mon départ de France. Leur décision du mois de mai s’est présentée à un moment très important pour moi: c’était l’occasion de prononcer une allocution devant le groupe inter-méditerranéen du parlement européen. Ils ont mobilisé tout le monde pour m’empêcher de m’y rendre et ont beaucoup gaffé ce jour-là. Ils ont empêché l’avocat d’arriver jusqu’ici et l’huissier de faire un constat. J’étais quasiment séquestré”.

- Quelle est votre explication?

“Je préfère ne rien dire, car je serais obligé de nommer des personnes et je ne veux pas engager de polémique”.

POURQUOI L’ALLIANCE AVEC LE “HEZBOLLAH”?

- Je voudrais revenir à une question d’ordre interne. Lors des élections du syndicat du corps enseignant, les gens ont été surpris de voir que le courant aouniste avait fait alliance avec le “Hezbollah”...

"Il y a en cela plusieurs messages que beaucoup de aounistes n’ont pas compris. Ils se sont abstenus de voter et nous avons perdu les élections. "J’ai voulu transmettre un message à tous les Libanais et démentir des allégations et même une psychose bien entretenues cherchant à faire croire aux gens, aux chrétiens notamment que, si les Syriens se retiraient du Liban, le “Hezbollah” entreprendrait des opérations militaires contre les chrétiens. “J’ai voulu montrer à tous les Libanais qu’il ne fallait pas avoir peur du “Hezbollah”; qu’on pouvait se mettre tous ensemble autour d’une même table, discuter et être d’accord sur certains points. “C’était donc un double message pour dire aux Syriens: nous ne craignons pas le “Hezbollah”, et pour dire aux chrétiens de prendre confiance. Il y avait, aussi, un message aux autres musulmans qui ont une certaine peur du courant aouniste, parce qu’il représente la résistance contre la présence syrienne. “On a donc choisi deux courants extrémistes, le “Hezbollah” et la “Jamaa islamiya” pour former une même liste et prouver qu’il n’y a pas d’obstacles entre Libanais, même s’ils sont de différents courants politiques. Il faut avoir un respect mutuel. “C’est un message que j’ai pu exprimer à travers ces lignes. J’espère qu’il sera compris par tous les Libanais”.

- N’avez-vous pas craint de perdre l’opinion chrétienne?

“Non, parce que si vous voulez jouer le rôle de rassembleur, il faut dialoguer avec tout le monde. Pour moi il ne doit pas y avoir d’exclus. De même, les autres doivent comprendre qu’il ne faut pas exclure d’autres groupes. "Il faut donc rassembler les Libanais, se mettre tous à la même table pour discuter et non se chamailler à travers d’autres capitales. “Il faut se reconnaître, mutuellement, se connaître davantage, avoir des contacts, pour effacer cette crainte fictive qui est entretenue par une certaine presse et par l’occupant, surtout qui dit: je vous laisse “Hezbollah” et je pars. Bon, qu’ils nous laissent le “Hezbollah” et partent. On s'entendra ensemble”.

QUE LES LIBANAIS DE L’EXTERIEUR RENTRENT AU PAYS

- Il y a un autre problème, celui des centaines de milliers de Libanais partis au cours des années de la guerre. Que pouvez-vous leur dire?

“S’il peuvent trouver du travail à Beyrouth, qu’ils rentrent au pays. Pour le moment, il y a aussi un climat politique qu’ils devraient pouvoir accepter en retournant au Liban et ce n’est pas évident pour tous. “S’ils sont partis, ce n’est pas simplement pour des raisons économiques. Il y a, aussi, les questions de sécurité et psychologiques. Quelqu’un qui est habitué à vivre dans un climat de liberté ne peut pas être soumis à un régime non libre “Il y a à l’extérieur du Liban, toute une élite sur laquelle on pourra se baser à l’avenir pour restructurer et réédifier le pays et former des hommes politiques valables. Ils savent ce que signifient la liberté, la soumission et l’esclavage. “Pour tous ceux qui me posent la question, et ils sont nombreux, je leur dis: si jamais vous trouvez du travail et vous pouvez accepter la situation, retournez. Sinon, travaillez là où vous êtes et aidez ceux qui sont dans le pays”. - Général, l’échéance du 28 août est toute proche. Allez-vous rentrer au Liban? “Attendons le 28 août pour en parler”. - Mais qu’avez-vous l’intention de faire? “De retourner au Liban, évidemment”. Je me prononcerai sur ce point au moment opportun.” - Craignez-vous de rentrer? “On va voir comment la situation évoluera’’.

- Quel est votre dernier message aux Libanais?

“Qu’ils se rappellent toujours leurs martyrs pour ne pas déposer leurs bulletins dans l’urne”.

NELLY HELOU.